Lors de la Première Guerre mondiale, de nombreuses prostituées se rendent au front pour offrir leurs charmes aux soldats, dont la concentration et la demande sont fortes. C’est dans ce contexte que l’état-major français décide d’instaurer auprès de ses troupes des bordels militaires de campagnes, qui sont des établissements favorisant une prostitution sous contrôle des autorités. Ces BMC sont développés durant la guerre d’Algérie et une partie du budget militaire leur est dévoué. L’armée française engage les prostituées, supervise leurs tarifs et horaires et surveille leur santé ainsi que celle des soldats y recourant.

Un bordel militaire de campagne au Maroc, dans les années 1920
A l’origine du tourisme sexuel en Thaïlande
Ces mêmes arguments apparaissent pour expliquer l’implication militaire dans les affaires de mœurs en Asie, implication qui se réalise à une toute autre échelle. Entre 1932 et 1945, durant son occupation de la Corée, l’armée japonaise développe des «centres de délassement» qui sont emplis à 90% de Coréennes, et où près de 200’000 femmes et fillettes sont victimes d’esclavage sexuel. Dans la même optique, lors de la guerre du Viêt Nam, l’armée américaine crée avec la bénédiction des pays hôtes des zones de détente appelées rest and recreation facilities. Les soldats sont ainsi envoyés en Thaïlande, Malaisie ou dans les Philippines, afin de récupérer et de se détendre dans les bras des femmes mises à leur disposition. En l’espace de trois ans, le nombre de prostituées en Thaïlande passe alors de 20'000 à 400'000. Après le retrait de troupes, plusieurs instances mondiales comme le FMI conseillent aux pays de profiter de cette offre et de se convertir dans le secteur touristique. Cette conversion est une réussite, et en 1995 la prostitution représenta 60% du budget thaïlandais.
Quand l’ONU est cliente
Les cas jusqu’ici cités font figure d’un recours lors de combats, toutefois les soldats de la paix n’omettent pas non plus d’employer des prostituées. Ainsi, l’augmentation de la traite des femmes en Bosnie est corrélée à la présence de la mission de pacification de l’ONU entre 1995 et 2002. Après enquête, il s’est notamment avéré que la police onusienne, qui a une quasi immunité absolue, a eu recours à des services sexuels et a «fermé les yeux» face à l’importation clandestine de femmes en Bosnie. Face à ce scandale, l’ONU réagit tardivement et sans réelle efficacité.
S’ensuivent des conséquences souvent semblables. Fruit de la guerre, la misère oblige de nombreuses femmes à se tourner vers la prostitution et fournit par conséquent un «stock» à long terme aux anciens «centres de délassement» et reconvertis en destination pour le tourisme sexuel. En Thaïlande, ce dernier s’accompagne d’un phénomène inquiétant, celui de la «prostitutionnalisation du tissus social», c’est-à-dire de la normalisation du sexe vénal et de la vente de leurs corps pour les femmes. Non seulement les armées militaires ont institutionnalisé la prostitution, mais elles ont aussi souvent passé sous silence la présence de viols et de trafic d’êtres humains, ce qui revient à dire que ces pratiques sont indirectement cautionnées par les organisations dirigeantes. Dans un climat de violence, nombreux sont ceux à utiliser les prostituées comme défouloir. La guerre garde une symbolique forte de virilité, encourageant le soldat à exprimer sa force et sa vigueur sexuelle. L’armée maintient l’homme dans cette perception du viril et l’image des femmes est dégradée. Richard Poulain, sociologue, explique : «Les crimes sexuels de masse, érigés en système par la prostitution militaire et la traite qui l’accompagne, sont en quelque sorte des invariants des guerres contemporaines.» Face à cette conception de l’armée en guerre, un des moyens conseillé serait d’augmenter le nombre de femmes dans l’armée.